21.05.22

Encore fallait-il être capable d’élever seule une mère de kombucha. Pour être honnête, j’avais peur de l’échec et du matricide involontaire. Je ne me faisais pas confiance en matière d’éducation. Ce qui ne m’empêchait pas de me pencher sur les procédures d’adoption, les orteils en griffes, bien accrochés au bord du plongeoir. Enfin j’allais savoir ce que j’avais dans le ventre ! Il faut parfois se jeter dans le grand bain sans se mouiller la nuque (c’est une frileuse qui essayera toujours de nous garder au sec avec les objets trouvés (mais par qui ?) autant dire complètement oubliés par d’autres).

Quant à savoir comment s’y prendre… J’avais lu tous les manuels éducatifs, disons vu tous les tutos YouTube. Par exemple, il ne fallait jamais secouer la mère pour ne pas remuer la couche ancienne pareille à la vase et qui, sous pression, pouvait nous sauter à la gueule ; quant à ce qui surnageait, mieux valait ne pas y toucher non plus (à l’instar des huîtres ou la peau du lait, ça pouvait rester sur l’estomac des plus sensibles). Au bout du compte, je me sentais assez calée sur le sujet, théoriquement déjà. Je fis alors un plat magistral dans un océan d’audace et bus la tasse jusqu’à la lie (la peau du lait avec) : j’adoptai le champignon idoine au doux nom de SCOBY — en réalité un amalgame gluant, une communauté de bactéries et de levures dont la membrane visqueuse m’évoquait la semence de quelque géniteur inconnu. Aussi ressemblait-elle franchement à la pâte à prout de mon enfance (aujourd’hui on appelle ça le slime, ce qui a relancé la mode du pet multicolore ainsi devenu hype).

Alors que fermentait la souche, je fomentais quelques dyspepsies. Quelques spasmes. Des ballonnements, si vous préférez. Je nourrissais beaucoup d’espoir en nourrissant ma mère de bonnes bactéries. Peut-être que Scoby allait sauver mon microbiote intestinal ! Je l’avais trouvé sur une boutique en ligne (sorte de SPA pour Syndrome du Côlon Irritable) où l’on promettait que tous les Scoby étaient fidèles et adorables. Après le processus de fermentation naturelle, on pouvait même le faire sécher : il deviendrait alors une gomme à mâchouiller très appréciée, paraît-il, de nos chers toutous (pour ne rien gâcher, il faudra donc ensuite adopter un chien, je note).

C’est au moment où ma mère commençait à faire des bulles (décidément, la bête était vivante !) que j’entendis parler de cette pénurie de lait maternisé, qui sévissait aux Etats-Unis. D’immenses malls aux rayonnages vides de milk.
La pénurie avait conduit à un nouveau trafic sur les parkings des centres commerciaux. Quand les mères affolées n’avaient recours aux « banques de lait », elles contactaient d’autres mères tout aussi exsangues mais, par chance, allaitant encore. Solidaires, elles grimpaient immédiatement dans leur 4×4 et sortaient du coffre quantité de bouteilles remplies de lait maternel, tiré à la source le matin même. Après avoir déchargé la précieuse cargaison, elles repartaient avec leur tank et le sentiment d’être déjà un peu plus légères. Afin de compenser son manque criant d’attributs féminins, le président américain avait mis en place un pont aérien afin d’importer en urgence des litres de lait infantile venu des quatre coins d’Europe. La prochaine pénurie concernera donc les oiseaux migrateurs : et qui, alors, pour remplir à nouveau l’immense sky et ses rayons couleur cream ?

Pour ne rien gâcher, un chien, donc. Il me rapportera les os des oiseaux qui étaient là au mauvais endroit, au mauvais moment ; oiseaux dont je reconstituerai le squelette avant de les suspendre au plafond, déjà repeint en bleu, un bleu céruléen pour la peine. J’aurai un bien beau mobile alors ! Et de passer en mode avion.

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