— le bassin sportif (où l’on tombe sur le ventre et des paparazzis)
Sous un tonnerre d’encouragements ou bien sous la menace, c’est dans le bassin sportif qu’il faut faire ses preuves. Montrer tout ce que l’on ne sait pas faire. Enfin, ça dépend de son niveau bien sûr, si l’on est dans le groupe expert ou celui qui galère. Je vous laisse deviner où je me situais alors, quand j’avais leur âge : tapez « glouglou » dans Google Maps – mais cessez de me taper avec la perche voulez-vous !
Les yeux rivés sur les gros chiffres rouges du panneau d’affichage, je constate qu’il n’est toujours pas l’heure de partir et que la température de l’eau est de 27 degrés. Ben voyons ! J’accompagne un enfant malentendant : il n’est pas aveugle ! D’ailleurs il n’y croit pas plus que moi, à ces 27 degrés. Sa mâchoire claque comme le petit bedon d’Abel quand, avec un courage immense pour son jeune âge, il saute du plongeoir. Tous grelottent en rang d’oignons, pareils aux lamelles des stores sous la tempête, et je ne peux pas les rassurer puisque je ne suis pas un panneau d’affichage : l’eau est froide, je ne vais pas mentir. Les lèvres de la petite Brune sont aussi violettes que les lunettes de plongée d’Agathe, l’hématome d’Edgar et les varicosités de la maîtresse qui a quitté ses bas de contention pour enfiler des tongs. Pour ma part, je ne sens plus mon pied droit que j’ai immergé, non sans crainte, jusqu’à la malléole pour donner l’exemple, du moins la direction à prendre. Heureusement, c’est fini pour moi ! J’y suis déjà passée il y a quelques années… et j’ai survécu. — J’ai survécu, regarde ! Le calvaire commence pour toi, je sais, c’est à ton tour de tendre les bras, d’attendre comme un piquet le moment inévitable où tu vas boire la tasse, mais ça va aller, je te promets : tu remonteras toujours à la surface comme les pâtes alphabet.
Assise sur le banc, à côté d’un parent accompagnant accompagné de son téléphone portable auquel il doit rendre des comptes pour qu’on lui rende la pareille, je ne suis guère plus à l’aise que mes petites ouailles détrempées. Certaines, plus aguerries cependant, nous éclaboussent à chacune de leurs prouesses acrobatiques – toutes capturées, sans exception, par le paparazzi accompagnant en mode rafale (mais qui est donc son enfant, à la fin ?!)
C’est la première fois que je vois mes jambes nues depuis l’été dernier : elles ont encore la couleur de l’hiver, des ecchymoses comme des traces de pas sur la neige flasque, aussi quelques poils incarnés. Sans doute aurais-je dû me gommer davantage. A l’avenir, je privilégierai le gant de crin à la fleur de douche. Dès à présent, je peux simplement me quitter des yeux, relève ainsi la tête en direction des gros chiffres du panneau d’affichage.
Pour la vingt-septième fois peut-être, le moniteur plonge sa perche pour récupérer le bonnet de bain de Clémence dont j’avais pourtant cru dompter la crinière à l’aide de beaucoup d’élastiques et de patience. Puisqu’il était impossible de prendre la totalité des rebelles d’un seul coup de filet, j’avais dû procéder en plusieurs étapes, avec l’aide de la principale concernée, laquelle devait coller son front contre mon ventre et maintenir les boucles les plus rétives pendant que j’étouffais le reste de la masse frisottante jusqu’à perdre haleine moi-même. Je lui avais arraché plusieurs touffes au cours de l’opération mais, à l’évidence, cela n’avait pas suffi à mater l’irréductible tignasse, définitivement incompatible avec la contenance somme toute limitée du bonnet dit extensible (ben voyons).
Finalement, je compte le nombre de bonnes raisons de s’enfuir à toutes jambes, même si chacun sait qu’on ne doit pas courir à la piscine. Sinon, on glisse et on peut se casser quelque chose, et oh ! malheur ! on ne peut plus aller à la piscine. Ne pensez pas que j’en fasse tout un plat ! J’en fais un roman-fleuve à la rigueur, mais le plat, c’est Abel qui le fait, et pas qu’un d’ailleurs. Au moment de plonger, il lève trop la tête, me regarde avec désespoir comme si j’étais son ultime bouée de sauvetage, et plaf ! le pauvre ! à plat ventre sur l’eau soudain dure comme la glace. Je l’aide à remonter l’échelle et lui glisse à l’oreille (enfin débarrassée du bonnet qui a lui aussi fini par lâcher prise et rejoint celui de Clémence pour commencer une nouvelle vie à deux) : Je sais, mon grand, je sais comme ça brasse, la piscine.