07.04.22

Aujourd’hui, j’ai une mine affreuse : voilà que je commence enfin à me reconnaître !

Alors comme ça, on a redécouvert la moitié des visages, la moitié basse, la basse-fosse ; la goutte au nez, ces petits trous qui coulent, qu’on mouche, qu’on met le doigt dedans ; et ces lèvres toute sèches, et ces moues, ces grimaces, tout ce qu’on s’essuie en tirant sur sa manche.

C’est comme ça, mais pas comme tu l’imaginais. Ton amoureuse n’a plus ses dents de devant ! Ses beaux cheveux caramel et ses yeux pâte de noisettes n’y changent rien. Son sourire est bien trop grand, comme un précipice qui va jusqu’aux oreilles, mais jamais jusqu’à toi qui te sens déjà au bord du gouffre de la tristesse. En plus, ta mère, elle tire tout le temps la gueule depuis qu’elle a retiré son masque… C’était mieux avant, ils ont raison tes grands-parents.
Même la jolie Maîtresse, comme ça te surprend ! Sa bouche n’a rien d’une framboise bien assortie à son foulard fétiche en pointillés de fleurs – motif Liberty, maman t’a dit alors qu’elle porte tout le temps que du noir comme une cage, alors comment elle peut savoir ? En fait, sa bouche, elle est couverte de gerçures plutôt très rouges, disons couleur Mara des bois, et qu’on aurait saupoudrée de sucre en poudre en plus. Tu as mal pour elle. A chaque fois qu’elle donne une consigne ou un conseil, ça craquelle et ça forme une petite bulle de sang qu’elle fait éclater du bout des lèvres.

Ton meilleur copain, et c’est bien le seul, il est encore plus beau qu’avant… Il n’a plus la morve au nez et les gencives à l’air. C’est pas juste à la fin ! Toi, tu as toujours les dents de lait qui bougent dans tous les sens dès que tu ouvres la bouche comme un squelette qui a froid. C’est vrai que tu as moins de buée sur les lunettes maintenant, mais tu doutes que ça puisse t’aider à remonter la pente. La vie, c’est pas un téléski.
Le pire c’est Xav’, le prof de sport. Tu as découvert pas plus tard qu’hier, avant de te prendre le ballon dans la tête tellement tu étais sous le choc, quelque chose que tu n’aurais jamais dû voir comme la guerre qui défile sur le téléphone de ton frère quand c’est pas une fille toute nue qui l’appelle pour faire la paix, au moins penser à autre chose parce que c’est une bombe ou quelque chose comme ça : bref, ton prof de sport, sa barbe c’est un tapis de poils blancs maintenant ! Et tu ne peux plus penser à autre chose. Dire que tu le pensais immortel ! Dans tes souvenirs, son sourire était blanc comme l’eau écarlate. En fait, il a plein de taches parce qu’il fume… Il fume ! Un grand sportif qui a de la force jusque dans le petit doigt et qui pourrait même soulever les immeubles qui tombent sur les gens qui n’ont plus de toit au-dessus de la tête, en fait il fume ! Ses dents, elles sont tout ébréchées comme ces vieux plats qu’on sort pour les grandes occasions et qu’on met les pieds dedans quand on dresse la table ronde pour tous bien se voir les uns les autres juste comme ça, parce que c’est dimanche.

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