— le bassin ludique (de chlore et de pisse)
Il neige en avril et je suis accompagnatrice piscine. Deux informations parfaitement complémentaires comme le rouge de colère et le vert de peur.
Tous les vendredis après-midi, j’aurai donc sept ans. Huit tout au plus. Je serai à nouveau cette gamine terrorifiée, comme je disais quand j’étais terrorisée et terrifiée en même temps, ce qui arrivait souvent à l’école. Comment accompagner, surveiller et rassurer des élèves à peine plus jeunes et plus courageux que moi ? Dites, c’est vraiment obligé, le Cycle Piscine ? Si je me fais tatouer tout le corps dans la semaine, je pourrais être dispensée ? Après tout, il faut trouver des excuses adaptées à son âge légal. Je fais ce que je veux de mon corps et de mon imagination. Croyez-moi, ça ne sera pas beau à voir, tout ce rouge sous la cellophane et ça pourrait s’infecter… Aussi, donner de mauvaises idées aux enfants (je ne compte pas me faire tatouer l’alphabet, des petits cœurs ou des chatons). D’ailleurs, j’ai prévu de me faire percer dans la foulée, et la nuque et les tétons. Vous imaginez un peu ? Ce n’est guère pédagogique. C’est peut-être mieux que je reste à la maison.
Bassin ludique, qu’ils disent : comme l’on s’amuse, c’est sûr, à avaler tant d’eau pleine de chlore et de pisse ! Le tout en allant chercher des anneaux multicolores dans ces profondeurs insondables, qui sont vraiment très loin de la surface où l’on respire bien. Quand on y arrive enfin, faut dire qu’on le hisse fièrement, ce maudit précieux anneau ! A bout de bras, on se dépêche de le tendre au moniteur avant qu’il ne nous glisse des mains et ne retombe à la case départ qui est au fin fond du bassin, et que fait-il alors, Monsieur le moniteur ? Ce qu’on avait repêché, à la sueur du front cisaillé par le bonnet de bain imperméable – disons plus imperméable déjà que les yeux et les oreilles –, il s’empresse de le relâcher ! Il dit que c’est super mon petit, et plouf, comme si de rien n’était, il le jette à la flotte et ça nous éclabousse au passage ! Et la consigne maintenant, c’est d’aller en chercher un autre d’une autre couleur, par exemple un rouge ou un vert, pour voir ce que ça fait encore, de tâter plein de pieds les yeux fermés en espérant ne pas mourir comme ça, avec le pied d’un copain ou un anneau en plastique dans la main pleine de doigts fripés. Franchement, je ne vois pas ce qu’il y a de drôle à ravaler autant de morve et de pleurs. Me réconforter, c’est pas mon fort.
Mordre la poussière, oui, si c’est du sable.