le Coin Calme
C’est chose connue, les enfants aiment jouer à la bagarre (surtout le vendredi après la cantine : à mon avis, le repas alternatif y est pour quelque chose). C’est de bonne guerre, une façon de se rencontrer, s’apprivoiser peut-être… A cet âge, le postillon est le plus doux des projectiles. Et puis quoi ! y’a pas mort d’homme. Au pire, on partage un œuf de pigeon avec un autre petit garçon, et alors ça ! c’est mieux qu’un pacte de sang.
Pour les dissidents, il existe toutefois « le Coin Calme ». Dans cette zone silencieuse – quoique fort mal isolée des cris de rébellion et de délivrance –, à l’écart du champ de mines de rien, certains sont assis sur les jardinières, d’autres fixent la grille où s’échappe l’eau de pluie, parfois s’évadent quelques billes… Ici l’on peut fermer les yeux, s’isoler pour lire ou confier ses chagrins. On s’y regroupe aussi, on répète la chorégraphie du mercredi après-midi, la poésie de la semaine prochaine, l’on s’entraîne à l’âge adulte. Disons qu’ici plus qu’ailleurs, on fait la part des choses : la compète, la guerre froide, c’est en classe ; en récré, on fait plutôt la paix, de guerre lasse.
Aussi faudrait-il reconsidérer les vertus pacifiques du goûter. Précisément du goûter à miettes (si possible avec emballage individuel). Qu’on se le dise, les enfants sont de bien meilleure humeur après un petit gâteau industriel. Au contraire, ceux qui doivent se contenter de collations saines – clémentine mollassonne pleine de pépins ; pomme golden découpée le matin même, toute noircie déjà, berk ; amandes et raisins secs qui se baladent dans une boîte en plastique impossible à ouvrir sans aide extérieure ; morceau de fromage à pâte dure qui transpire par tous les trous sous la cellophane ; quignon de pain complet et complètement rassis –, ceux-là font bien trop tôt l’expérience de l’injustice. Laquelle conduit plutôt à faire la tête qu’à faire la paix, ce n’est un secret pour personne hormis les grandes, on dirait.
Depuis peu, cependant, calmes et bagarreurs se sont mis d’accord : ils jouent ensemble aux « Russes contre l’Ukraine », se persuadent qu’ils en ont inventé les règles. Je n’ose les contredire : ils ont l’air de si bien s’amuser, oublient même toupies et spinners dans la poche intérieure du manteau, au fond du cartable… Je leur demande de faire attention malgré tout : la pharmacie de l’école n’a plus aucun pansement et seulement six granules à faire fondre sous la langue. Bref, pas assez pour tout le monde.