06.03.22

L’école est peut-être le dernier lieu (encore ouvert, j’entends) où l’on refuse d’avoir peur. Impossible de nous taxer d’aveuglement ou d’inconscience ; bien au contraire, c’est écrit noir sur blanc dans le règlement : les costumes effrayants sont interdits pour ne pas traumatiser les plus jeunes, qui vivent alors entourés de gentils dinosaures, d’insectes géants, de petites princesses, de licornes mignonnes et de sirènes trop belles. S’ils entendent encore parler les animaux et les fleurs, ils n’entendent rien aux brutes épaisses, aux masques carnassiers, aux armes qui tuent pour de faux mais font mal pour de vrai…  

Le mot à destination des parents est formel : le jour du carnaval, il n’y a pas lieu d’épouvanter ses camarades. Seront refusés, de façon systématique, tous déguisements jugés dangereux pour l’innocence générale, destructeurs d’amis imaginaires, générateurs de cauchemars et, par suite, de disputes parentales : Non, pas encore ! il est trop grand pour dormir avec nous, enfin ! – Qu’il enlève sa queue de dinosaure au moins ! – C’est un Pokémon, mon chéri. Et remets ton slip, tu veux bien… – Si tu lui avais acheté ses plateformes et son crop top, on n’en serait pas là ! – S’habiller comme Lena Situations, c’est pas un déguisement ! – Tu aurais préféré la laisser aller à l’école dans son pyjama Dumbo avec ses pantoufles Bob l’Eponge ? C’est la honte ! – C’est bien la mode des Crocs… – C’est ta faute de toute façon, quelle idée d’écouter toutes ces horreurs à la radio quand tu l’emmènes en voiture… – C’est bien de son âge, les paroles trash, les vidéos gores, et puis la guerre, c’est au programme, je te rappelle.

Enfin, inutile d’essayer de faire passer les monstres hideux pour de gentils ogres verts, les égorgeurs pour de braves bouchers en reconversion professionnelle, les poupées vengeresses pour des militantes aux idées claires, les balafres et la cervelle apparente pour de nouveaux critères de beauté plus inclusifs… Si l’équipe éducative garde à l’esprit qu’il faut vivre avec son temps, à l’école, il faut d’abord vivre avec les autres. Quiconque dissimulera justiciers et terroristes sous les traits d’étudiants surdoués en pleine croissance et décompensation totale sera exposé à de lourdes conséquences. Pas plus de tolérance s’agissant des déguisements faits maison (même si c’est fait avec amour et quelques sacrifices) ainsi que des accessoires personnels : le vieux couteau japonais de maman reste préjudiciable pour les enfants apprenant à compter sur leurs doigts, les aiguilles à tricoter de la grande sœur peuvent crever un œil, le fusil de chasse de papi (même sans cartouches) reste un objet contondant, idem pour la scie égoïne de l’oncle bricoleur… Enfin, tout objet connecté au monde extérieur – ou pire, directement à l’élève – sera confisqué sans délai. Rappelons d’ailleurs que les écouteurs et les montres dites intelligentes sont interdites tout le reste de l’année : l’heure des papas et des mamans est aussi immanquable qu’invariable, pas besoin de vérifier. Quant à celle de la cantine, à n’en pas douter les enfants feront confiance à leur horloge biologique. Du reste, des casques antibruit sont depuis peu mis à disposition des plus sensibles afin que le moment du repas reste agréable et bénéfique à tous.

Un refuge pour les fées et les lutins, le temple du mimi tout plein, le Pixar de l’Arcadie, un distributeur automatique de câlins ! Vous l’aurez compris, travailler à l’école, c’est vraiment la planque — et une planque à temps partiel, c’est toujours mieux qu’un casse-pipe mal rémunéré.

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