Sur la corde sensible, plus que du linge très propre certifié Oeko-Tex — ce qui n’empêche pas, qu’on se rassure, de laver son linge sale en synthétique et en public.
Il faut aujourd’hui prendre tant de pincettes pour s’exprimer qu’il devient délicat, voire impossible, d’en trouver une seule encore disponible pour déloger ces poils incarnés qui brûlent, s’enkystent, s’infectent… un jour ou l’autre, se répandent. Tout à fait mûrs sinon blets, enfin se vident. (Notez que j’ai pris environ six pincettes en plus de mes doigts pour écrire ce texte : je garde le premier jet dans mes archives – précisément dans le carnet numéro 27, situé dans le troisième tiroir en partant du bas de ma colonne de rangement en métal couleur turquoise, où quelques autres textes inédits seront peut-être portés aux nues à titre posthume, qui sait ce que l’avenir nous réserve !)
Mais d’abord, vivre avec son temps. Moins fataliste que vigilante, je mets donc régulièrement à contribution toutes mes pinces à linge (initialement au nombre de vingt-quatre, mais le lot a bien diminué parce que ça se casse pour un rien ces choses-là). En conséquence, il n’en reste plus aucune pour me boucher le nez, empêcher cette odeur de graines germées (un conflit en fermentation) de pénétrer mes narines. Je préfère pourtant le discours nasillard un peu encombré au laïus bien propret qui doit se moucher bruyamment sitôt hors-champ – ou pire, en direct, devant quelques milliers de followers parce qu’il faut être proche de sa communauté. Et puis au fond, tout au fond de l’écouvillon, qui n’a pas l’eau à la bouche de voir la goutte au nez fraîchement sorti d’une rhinoplastie turque ?
Enfin, je dois dire qu’absentes de l’étendage, les pinces à linge manquent d’abord aux petites culottes qui se dandinent sous la brise et regrettent le temps où l’on trouvait encore le moyen de leur pincer les fesses. Tandis que d’antiques pyjamas très confortables lorgnent nuisettes et dentelles, le linge de maison, lui, s’égoutte lourdement. Il peut baver tranquille : son poids le stabilise sur la corde. Rien n’est moins sûr, en revanche, concernant la lingerie fine, si fine en réalité… Légère et inoffensive, elle ondule et se balance, sans penser aux conséquences de telles acrobaties tout près du vide. Bien sûr la chute est inévitable. Sens dessus dessous, tissus délicats et culottes enfantines tombent sur la tête des passants qui pâtissaient déjà d’un sérieux manque de perspective (lunettes sales ou embuées, écran terne, niveau de batterie faible et tutti quanti, toi-même tu sais, et cetera, qui sait une fois encore ce que l’avenir me réserve : mieux vaut s’assurer la compréhension de tous). A vrai dire, ils manquaient aussi bien de fantaisie que d’un élégant couvre-chef alors… Disons qu’en fin de compte, ça tombe bien.
Reste le nettoyage à sec. A long terme, un très bon investissement d’après la responsable d’un pressing écologique qui a quand même les yeux sacrément rouges (c’est juste qu’elle est hypersensible, surtout à la lumière bleue et aux néons parce qu’elle relève du spectre de l’autisme, et puis elle est intolérante à l’eau calcaire).