10.11.21

Depuis les hauteurs de Collioure, la mer tombe de tout son long. Furieuse la veille, aujourd’hui placide, une insaisissable odalisque où flottent mélancolie et fantasmes (aussi quelques masques). Quant à moi, étrangement lucide, j’acceptais sans peine ma ressemblance avec une carpe en pâmoison, aussi bien une algue ou une anguille, entortillée comme je l’étais autour du bras que me prêtait N. d’un accord tacite et, je crois, sans réserve. Son bras libre prenait donc sur lui de montrer avec passion tout ce qui nous entourait. Il dirigeait mon regard à la baguette : là, un champ d’oliviers ; ici, tel papillon ; le nuage, là-bas, qui imite l’écriture illisible des médecins, et puis toutes ces vignes à perte de vue ! Je devais savoir – bien sûr – que les coteaux étaient situés sur un balcon de schistes du Cambrien, le début de l’ère paléozoïque : à l’idée de piétiner tant d’Histoire, j’eus soudain le vertige, m’accrochai de plus belle à son bras, et dus continuer la grimpette sur la pointe des pieds (pour ne pas abîmer).

Nous marchions tranquillement dans les traces d’un sanglier, scrutant le sol à l’affût des lézards, quand N. fléchit les genoux, m’emportant avec lui dans les méandres de la roche métamorphique. Il s’intéressait particulièrement à l’aspect feuilleté de ces plaques d’ardoises, qu’on appelait pour cette raison « un feuillet rocheux » et qui me faisait d’abord penser à la croûte charbonneuse du pain noir cuit au Chazelet (seul réconfort à la montagne). Je ne l’arrêtais plus ; il s’attardait sur tout ce qui était beau, tout ce qui était rare aussi, et tout était d’une rare beauté ici : bref, nous n’allions pas arriver de sitôt au terme de notre ascension (ce que je lui fis remarquer alors qu’il amorçait, sans penser aux conséquences, une description fidèle de la picole, outil indispensable du parfait viticulteur – précisément, une sorte de pioche pour travailler la terre des plants de vigne).

Certes, personne ne nous attendait là-haut mais j’attendais avec impatience, pour ma part, le moment de la douche, aussi de la buvette (il faut des repères solides, même en vacances). Sous l’effet du fœhn et de l’effort, le visage de N. prenait une teinte lie-de-vin tandis que je commençais toute entière à me fondre avec la Côte Vermeille. Comme nous avions encore du chemin à parcourir, je tirai discrètement sur notre bras commun et nous nous remîmes en route. Heureusement, pour un mois d’octobre, le soleil était encore bien haut, imprenable comme le pompon des manèges. Et puis, nous n’étions pas encore passés à l’heure d’hiver, dont on se soucie peu d’ailleurs sur le littoral. Ici, point d’avance ou de retard, on vit d’abord au rythme la mer. Laquelle quitte, à son bon vouloir, sa robe limpide pour s’envelopper d’un voile acajou, reflet de la lune et d’un Banyuls hors d’âge. Alors seulement vient le soir.

Enfin, perchés sur la tour Madeloc après des heures de marche et de panégyrique, nous ressemblions moins à de grands poètes qu’à de la petite friture. Assoiffée, je fis remarquer comme la Méditerranée ressemblait à une pleine bouteille alors – non, plutôt des dames-jeannes entières de curaçao renversées : une immense flaque couleur E133. De toute évidence, l’heure n’était plus à l’emphase, mais bien à celle de l’apéro. Encore fallait-il que nous redescendions de notre perchoir d’un seul et même pas afin d’arriver en bas coude à coude, vaguement ponctuels.

1 Comment

  1. Waaaw, magnifique, quelle prose..
    Et connaissant Collioure ainsi que N., s’en est encore plus charmant.
    Merci pour ces mots, ces phrases, leur beauté

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