Les températures sont tantôt plus hautes, tantôt plus basses que les normales de saison (calculées sur 30 ans et mises à jour toutes les décennies). Je sors peu pour éviter les transitions. Marche pieds nus, trois pulls sur le dos ; parfois en sous-vêtements avec, pour seul accessoire, une bouillotte réchauffant le plexus nerveux végétatif situé derrière l’estomac (plus connu sous le nom de plexus solaire). Le climat change, non pas l’heure d’extinction des réverbères.
Avant et après la météo, la même publicité où, cela va sans dire, les sourires pleuvent, les mains se tendent, les dents irradient, bref, où il fait bon vivre comme dans toutes les publicités qui ne vendent pas l’aura mélodramatique d’un parfum : « LE CHOIX FUNERAIRE, votre partenaire obsèques. Reposez-vous sur nous. » J’apprends du même coup que je peux me reposer sur quelqu’un d’autre que sur celui qui est mort et que le temps restera sec jusqu’à jeudi prochain. Indice de confiance : 2/5. A mon sens les prévisions ne sont pas bonnes ; je tente de me rappeler où et quand j’ai vu mon parapluie pour la dernière fois : impossible.
Tout bien considéré, un partenaire d’obsèques est plutôt une bonne idée. Un cavalier pour le bal de toute dernière année. Quelqu’un de compétent, formé à partager ma tristesse sans m’encombrer de la sienne : il me serait étranger. Un intérimaire. Sa mission consisterait à m’accompagner à chaque enterrement pour une bouchée de pain complet sans gluten, en échange d’un buffet à volonté après les funérailles, avec mention des allergènes et alternatives véganes. Un inconnu dont je pourrais choisir le prénom, pour plus de commodité, et qui présenterait bien mais sans en faire trop, bien sûr, car il serait tout à fait déplacé de chercher à se faire bien voir lors d’une cérémonie où celui qui nous y a conviés reste introuvable. Et puis, si les morts ont tous la même peau, ceux qui restent ont franchement tous la même tête, aussi l’apparence n’aura-t-elle aucune d’importance. Disons qu’il ressemblera à n’importe qui (barbe sculptée, mèche rebelle et jean retroussé) et cela suffira à créer un climat de confiance, du moins un sentiment familier, appréciable dans ce genre de circonstance. Reste l’attitude dudit partenaire qui, elle, devra être irréprochable : je l’imagine faire les liaisons entre les mots, baisser la tête quand il le faut, prendre la mienne sur son épaule… — Je vous présente mon partenaire d’absence, il parle peu, console bien, serre correctement la main.
Aux autres endeuillés, il partagerait ses plus sincères condoléances et, discrètement, son code promo. Après tout, la mort, ça fait partie de la vie, et la vie, il faut bien la gagner aussi… bref, il aurait le sens des réalités comme on dit, et je ne pourrais pas le lui reprocher, de garder les pieds sur terre, je serais même rassurée, au fond, que quelqu’un ici se décide à ne pas monter au ciel. Il me divertirait enfin, de façon un peu coupable, comme ces conneries à la télé qui font penser à autre chose de peut-être pire après tout, mais de différent.
Aujourd’hui, je n’ai pas encore tiré les rideaux. Il fait nuit si tôt qu’il est déjà trop tard. Cependant la nébulosité, hier abondante, devrait se dissiper demain et progressivement laisser place à une période d’accalmie : je sais déjà tout du temps qu’il fait. Impossible, en revanche, de prévoir le temps qu’il faut.