12.07.21

Le soleil gonfle comme un coquard ; le canapé continue de s’affaisser.
Mes vertèbres le suivent, par solidarité.
Je redresse cependant la tête : le paysage est de travers.

Rien à faire, je suis aux premières loges d’une scène qui ne colle pas.

Je m’approche de la fenêtre, trébuche sur le pied du ventilateur, perds une pantoufle, enfin écarquille des yeux las et secs. Ils couinent comme des chaussures neuves qu’on aura tôt fait de revendre à un sourd. Au beau milieu de mon champ de vision, dévorant le premier plan, se dresse un éléphanteau rose et mauve, entouré de bulles souriantes et carnassières qui ressemblent à de gros ballons prêts à éclater. La peinture est bien trop vive. Encore fraîche, elle pourrait s’estomper à la faveur d’un orage, d’un lézard décidé… et si le vent s’y mettait, la gifle d’une branche… Reste qu’elle tacherait volontiers mon doigt si je pouvais l’étirer jusque-là : je ne m’y aventure pas. J’ai des mains de pianistes, d’accord, mais il ne faut pas exagérer. Et puis, c’est sûrement plein d’allergènes, la peinture aérosol. Mieux vaut ne pas y toucher.

Toujours est-il que l’horizon a bien changé, gondole autant qu’une feuille de papier sous une montagne de glu. Me voilà face à un mur tout mignon et tout bariolé, effets d’optique et éblouissements à la clef. Impossible désormais d’ouvrir les volets sans faire entrer dans mon salon un encombrant pachyderme, ivre de surcroît. De toute évidence, il s’agit de Dumbo, le fameux éléphant volant des studios Disney, que je pensais sagement endormi dans le vieux magnétoscope de mes parents. Aussi suis-je très agacée par ce changement de décor soudain comme la fiente d’un pigeon sur la visière de mon imprenable couvre-chef.

C’est que j’appréciais l’insignifiance du mur d’en face, sa couleur porcelaine contrastant avec tout un réseau de traînées noires, le fait qu’il soit incapable de retenir le regard – tableau terne, sécurité fade. Disons qu’il remplissait bien son rôle de mur, tenait debout malgré les fissures, ne donnait aucune perspective, faisait simplement de l’ombre aux poubelles et aux vélos de la cour. À ma connaissance, jamais personne ne s’en était plaint (et bien au contraire, je pourrais dire). Façade vieillotte et familière, elle était aussi peu dérangeante que la mouche morte dans la vasque du plafonnier dont je n’ose changer l’ampoule depuis qu’elle a grillé – peu après la mouche d’ailleurs – car je devrais alors nettoyer le poussiéreux luminaire, entreprise périlleuse s’il en est, et tout à fait inutile étant donné qu’il est impossible d’éclairer la pièce ; or, un nettoyage méticuleux nécessite un éclairage correct. L’inverse étant vrai, je préfère ne rien toucher. Une fois pour toutes, ne pas entacher la grisaille.

1 Comment

  1. Comme toujours et comme ça le restera, beau, bien écrit. Une maîtrise absolue des mots et de leurs sens. Ainsi qu’un sens du détail affuté. De mes doigts longs mais un peu potelé, j’écris ces éloges. Et espère pouvoir lire de nouvelles choses bientôt.

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