Il s’achèterait des fleurs lui-même, voilà ce qu’il se dit. Mon voisin – qui avoisinait la trentaine de cartons vides sur le paillasson – s’était donc fait porter un bouquet, espérant engager la conversation et plus si affinités avec le livreur. Cependant, c’est un drone qui sonna à la porte. Il ne parlait pas français, il ne parlait pas du tout, en vérité. Il gardait son sang-froid devant les avances du célibataire qui, ainsi éconduit, se jura de ne plus commander que des pizzas prédécoupées sur lesquelles il avait pour habitude d’ajouter un peu de plastique râpé. Une fois fondu, il devenait si extensible qu’il pouvait alors tisser des liens entre les différentes pièces de son petit cocon.
Reste qu’il avait des fleurs sur les bras et pas un coup d’un soir sur le dos. Désespéré, de surcroît inquiet à l’idée de commettre l’irréparable, il goba pour se consoler l’intégralité de la boîte d’oursons en gélatine rose spécialement conçus pour repousser la calvitie. Puis il ouvrit tous les placards à la recherche de quelque chose ressemblant à un vase. Il se rendit compte alors qu’il avait oublié de cocher la case « À usage unique » au moment de la commande ! Une fois déballées, il constata donc que les fleurs étaient synthétiques : preuve immortelle de ce fiasco qu’il pourrait au moins épousseter de temps en temps. Ce n’était décidément pas son jour de chance, en matière de romantisme. Et notre soupirant à l’agonie fit toute une story de sa chienne de vie.
Une chance pour lui : ça plaisait autant que les vidéos de chiots. Suite aux nombreux messages de soutien reçus durant la nuit, il parvint à se ressaisir rapidement et, dans la foulée, créa une chaîne de cuisine. Il avait enfin trouvé l’ingrédient clé de la résilience, non moins celle de sa réussite ! En temps réel, face caméra, il râpait tiges et pétales. Les parsemait ensuite sur une pizza, un plat de pâtes, un gratin de légumes, un croque-monsieur… C’était en somme devenu sa marque de fabrique, aussi un rendez-vous quotidien.
Dans le récipient de son mixeur (qui servait donc de vase), d’autres bouquets attendaient leur tour. Les fausses fleurs passaient par toutes les couleurs. (À l’instar de leur mort, leur peur ne paraissait guère naturelle : je soupçonnais un de ces filtres kaléidoscope.) Tôt ou tard, elles finissaient au four et – c’était là le clou de la recette – dégoulinaient de concert avec l’enthousiasme des spectateurs qui se rassemblaient, unanimes, sous un seul et même applaudissement digital.
Ainsi fit-il rapidement le buzz et, un jour, je remarquai qu’il avait déménagé dans un pays lointain où vont ceux qui s’approchent dangereusement de la réussite totale. Il faisait quantité de reels pour montrer comme il réalisait ses rêves : il pouvait notamment commander n’importe quoi à des robots qui lui parlaient beaucoup, qui plus est dans la langue de son choix.
Depuis, j’ai enfin découvert son vrai visage – disons plus distinctement qu’à travers mon judas – et il faut bien avouer qu’il est sympathique, presque solaire, du moins bronzé, ce qui n’est pas désagréable à regarder. Je le croise souvent dans les parties communes de l’écran et je dois dire que nous entretenons d’excellents rapports de voisinage. Poli, il hoche sans arrêt la tête en guise de salutation et ce n’est vraiment pas si courant, tant d’égards, dans la vie de tous les jours.