Il était une fois une princesse, un prince, un transplanté, un cistercien, un panégyriste, qu’importe, je ne vais tout de même pas aller vérifier ! Reste qu’il était une fois un individu bipède.
Bipède arborait ses doigts comme l’on exhibe des plantes au balcon (il est pénible de mettre des moufles quand il fait chaud, n’est-il pas, et c’était une fois en plein été). Puisqu’il s’en servait inconsidérément, au vu et au su de tous, les doigts indécents se faisaient remarquer. On leur demandait de passer le sel, de tenir la rampe, de changer de chaîne, une caresse peut-être ? On les flattait parfois. On pouvait leur dire – on se le permettait ! – qu’ils étaient longs et fins, qu’ils joueraient bien du piano, tiens, qu’ils feraient de bons massages, bref, on leur prêtait un peu trop d’attention et des intentions qu’ils n’avaient pas, ça, non ! (Un doigt, ça ne pense pas, pas plus que ça ne parle à l’oreille, rassurez-moi.) Loin d’eux l’idée d’apprendre les gammes, drainer les jambes ou détendre les nuques ! Aussi tapotaient-ils sur la table en guise d’agacement (l’histoire se passait donc l’été, près d’une table à quatre pieds). Oui, ils s’agaçaient. Jusqu’au jour où.
Où, cohérent avec ses desiderata, Bipède a tout coupé. Déracinement radical. Avec ses deux moignons, le voilà désormais soulagé, « bien peinard » comme qui dirait. Sans plus de charge digitale, devinez quoi ?, il ne prend plus rien, ni bien, ni mal, pas même la mouche. Enfin libéré d’un poids – précisément, de dix petits faix et autant de gestes.
Restent toutefois bien visibles, transperçant des grains de beauté, quelques longs poils noirs. Érectiles et remarquables, sujets aux œillades. Qu’il faudrait éviter. Il faudra arracher. Bipède, en plus de Manchot, deviendra donc Imberbe ; bientôt ne sera plus importuné que par sa propre sécurité.