Un perroquet géant – disons de la hauteur d’un lama et de l’envergure d’un albatros hurleur – vient de cogner contre la vitre de ma cuisine, comme le font parfois certaines mouches butées. Le choc a été si fort que j’ai sursauté. Je quitte mon thé qui n’a pas ôté pas ma toux, et m’approche doucement des rideaux aux motifs décolorés par le soleil… Il est là, sur la balustrade, le bec un peu de traviole et les plumes toute froissées. Leurs couleurs se marient étrangement bien avec celles de mon cendrier d’extérieur et des jardinières suspendues à mon cou : le balcon, revenu de tout, pour ne pas dire foncièrement dépressif, en deviendrait presque accueillant. (La raison pour laquelle je me fais cette réflexion sur l’harmonie des couleurs au lieu d’immédiatement porter secours au pauvre psittacidé, c’est que j’avais écouté une émission sur la chromothérapie juste avant de m’endormir.)
Il semble en avoir vraiment plein les pattes ! Lesquelles, je le constate, ne sont pas baguées. C’est donc un oiseau libre, un indépendant. Peut-être attend-il que je l’héberge un temps… Soucieuse de son état de santé autant que du fait qu’il puisse s’introduire chez moi, je juge préférable de n’entrouvrir la porte-fenêtre que de quelques centimètres. Il me dit bonjour. Bonjour. Il a eu un petit souci d’orientation, il ne voulait pas du tout atterrir ici. Il me présente ses plus plates excuses, plates comme un pigeon écrasé sur le bord de la route. Il doit parler fort sans s’en rendre compte parce qu’il a les oreilles bouchées à cause des changements d’altitude. Il déteste la montagne. Le relief, ce calvaire… Vers où allait-il ? Il rejoignait le Sud. Ah, le Sud, l’azur… Bien sûr, il m’enverra une carte postale, un porte-clefs et un savon. Il n’a finalement pas l’air méchant, me rassure, j’ouvre la fenêtre en grand. Il poursuit : il a pris froid et le mauvais temps en horreur. A mon tour, je le rassure un peu : ici, le soleil brille parfois, il suffit de constater la décoloration des rideaux. D’eau, un verre ? Je le lui sers. Il s’excuse encore pour la gêne occasionnée. Me faire peur, ce n’était vraiment pas son intention ! Que d’attentions… Comme les perroquets oniriques sont galants, qu’ils s’expriment bien ! Je sais qu’il répète un discours appris par cœur (je vois l’antisèche des bonnes manières sous son aile gauche), mais décide de fermer les yeux sur ce détail et lui ouvre grand les bras, qui le serrent fort. Il se raidit aussitôt. Il n’a pas donné son consentement pour un tel rapprochement physique qui, bien qu’empli de bonne volonté, est tout à fait inattendu voire un brin envahissant. Il revendique sa liberté d’action, ne compte pas fermer les yeux sur ce geste déplacé. Je rectifie : d’affection. De guerre lasse, je lui tends du masking tape pour qu’il se cloue le bec sans non plus causer d’irréversibles dommages.
De toute façon, il est l’heure de lui dire bon vent : j’entends au loin les prémices du tapage diurne. Aussi la vessie pèse-t-elle un peu, signe que le jour ne va pas tarder à s’étirer, achopper sur ma paupière, y frapper les trois coups. Je me demande si j’arriverais à déchiffrer ce que la main somnambule aura écrit durant la nuit, ce qu’elle en aura retenu. Toutefois, avant d’ouvrir les yeux, je tiens à quitter l’endroit comme je l’ai trouvé : je prends le temps de finir ma tasse de thé restée sur la table de la cuisine, j’éteins toutes les lumières, ferme bien hermétiquement les fenêtres et baisse le thermostat parce que ça ne sert à rien de chauffer les oiseaux, et surtout pas les oiseaux qui vont vers le sud.