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Je ne sais plus à quel saint me vouer pour voir une montgolfière voler. Les nacelles restent au sol clouées, comme le bec d’un beau parleur qui se leste à nos pieds. Le céleste ne semble guère à ma portée depuis la terre boueuse du petit pré d’où devaient partir ces malheureux ballons… Après les désastreuses Montgolfiades d’Annonay en juin dernier, je vois l’expérience se répéter – et je ne vois pas grand-chose d’autre, à dire vrai : tous les vols, une nouvelle fois, annulés.

Le dirigeable porte décidément très mal son nom. Malgré quelques encourageantes éclaircies en tout début de matinée, aucun n’accepta de prendre l’air. On ne se donne pas au ciel sans quelques assurances et d’optimales conditions, je le comprends. Les vents, eux non plus, ne se laissent pas commander facilement : l’aéronaute dépend de mille et un paramètres pour pouvoir effectuer son vol ; ce nombre inouï de variables rend l’élévation incertaine, rare, inédite pour ma part. Après plus d’une heure d’attente et de conjectures dans le froid et la brume, nous ne pouvions plus que disserter sur l’absence d’événement, et le maigre public commençait à se consoler : le Festiv’air, on le sait, c’est plus festif depuis longtemps… vu le temps, on s’en doutait un peu ; et puis, après tout, on sera bien, au chaud, ça aura fait la balade… Au fond, ceux qui m’entouraient s’étaient surtout déplacés pour « sortir le chien et les enfants », faire de bonnes affaires au Temple de la Polaire, manger une tartiflette, boire un chocolat, c’est-à-dire profiter des choses simples de la vie en station. Moi, je n’avais réfléchi à aucune activité de substitution et refusais d’admettre que le vent devenait de plus en plus fort. J’observais les pilotes et les organisateurs, facilement reconnaissables à leurs parkas publicitaires décorées de montgolfières bien rouges survolant des sapins bien verts, et qui affichaient avec fierté « Villard-de-Lans » en grosses lettres jaunes : ils ne semblaient pas non plus très abattus. Je jugeais même leur déception feinte. Depuis trois ans, le festival était toujours tombé à l’eau, alors ils étaient depuis préparés : un assortiment de fromages coulants, un jambon à l’os, entier sur sa broche, quelques pichets de vin rouge, un Picon-bière pour l’original de la bande… Je les soupçonnais d’être soulagés de n’avoir pas à sortir le si lourd matériel de la remorque accrochée à l’arrière de la voiture, garée loin, bien trop loin de cette charmante tablée…. Bref, on s’acclimatait, le cours de la vie reprenait, quand je sentais, en moi, l’orage gronder. Je restais prostrée au milieu du petit pré où les montgolfières devaient être célébrées. Oui, cette fois, elles le devaient ! Alors que la baleine du parapluie manquait de m’éborgner, et que les menus des restaurants se fracassaient au sol des terrasses désertes, je ne cessais d’actualiser sur mon téléphone la page du service météo, et fixais le ciel chargé, persuadée qu’un objet volant identifiable allait bientôt colorer ces masses grises, et fendre les nuages, tel un sourire sur des gerçures.

A mes côtés résistaient aussi quelques enfants. Certains faisaient la tête et exigeaient d’être réconfortés – le réconfort prendrait les traits d’une brioche, d’un castor en peluche, d’un avion téléguidé… D’autres, moins dans le négoce, pleuraient à chaudes larmes et imploraient leurs parents de rester encore un peu, juste un peu, au cas où. Cette sincère ténacité me ranima. Les enfants et moi formions un groupe solidaire, je me sentais épaulée et comprise… jusqu’à ce qu’une petite fille, haute comme un parapluie cloche, vienne me dire qu’il fallait pas rester là, que ça servait plus à rien de rêver maintenant, que c’était tout fini. Cette gamine acheva de me dégonfler. En guise de curieux réconfort, l’après-midi même, plusieurs personnes de mon entourage m’appelèrent pour m’assurer qu’ils avaient aperçu des montgolfières voler, quelques jours avant mon arrivée ; des vols sauvages, imprévus, hors contexte du festival. Ça se passait donc toujours dans mon dos !

Le séjour devait être écourté. En un rien de temps, je bouclai ma valise. Dans les pentes, elle me pressait et cherchait souvent à me dépasser. Ses deux petites roulettes unidirectionnelles produisaient un insupportable tintamarre, et, là aussi, toujours dans mon dos, hérissé. J’arrivai, comme d’habitude, très en avance à la gare routière et fus la première installée dans le car. Dans les virages, je regardais au loin le paysage pour éviter d’avoir à utiliser le sac plastique que j’avais prudemment placé sur mes genoux. Je vis quelques couleurs automnales, des vaches qui attendaient, et un ballon, sans doute échappé d’une kermesse, dont le fil était retenu à la croix d’une église. Il était bientôt 19 h et je priais pour que le supermarché ne soit pas déjà fermé à mon arrivée : j’avais envie d’haricots verts en boîte, ceux avec l’oignon grelot dedans, et mes éponges grattantes ne grattaient plus du tout. La terre spongieuse du petit pré s’éloignait… Elle ne subsistait plus que sur mes chaussures, terriblement encrassées. Il me tardait de les nettoyer.

Tout le monde s’était finalement dirigé vers d’autres horizons, nous avions tous rebondi – ce qui est déjà voler un peu, même pas très haut, même pas très longtemps.

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