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Je ne sais pas si ce taureau a consciemment voulu se donner la mort ou si, paniqué, il n’a tout simplement pas vu ce sur quoi il s’élançait. Je constate seulement, l’aura dans l’arène.

La scène se déroule début août, à Foios, en Espagne. L’impatience se fait sauvage, on s’agite dans les gradins, comme des bêtes en cage. La tradition du toro embolado consiste à placer deux boules enflammées sur la pointe des cornes d’un taureau, solidement attaché, pour plus de commodité, au poteau central de l’arène. Une fois que le halo de feu diffuse sa superbe, et que l’homme jouit de sa consécration toute prométhéenne, on peut détacher l’animal. Ses caractéristiques bovines partent alors en fumée, sa couronne s’embrase ; sitôt intronisé, sitôt déchu. Alors, notre impétueux martyr prend de l’élan, et se rue sur le pylône. Mort sur le coup. Étourdi par cette farce cruelle, l’absurdité du rituel. En s’assommant ainsi, contre le poteau où il avait été assujetti, il met prématurément un terme à la fête : les spectateurs, blêmes, sont punis d’avoir à ce point déshonoré la bête, devenue emblème. Face à ce corps, inerte mais vengé, tous restent cois. Oui, l’arène a perdu son roi. Et l’excitation, à l’instar de la braise, retombe aussi lourdement qu’une demi-tonne de gardiane sur le sol. Du roi, ne reste que les bouffons ; lesquels n’ont plus personne à distraire, et ne se font pas plus rire eux-mêmes. Les bouches se ferment comme un seul et même cercueil.

Les morts reposent toujours dans la parole de ceux qui les proclament. Alors j’ai dit, j’ai célébré, même, le roi sans les rênes.

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