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Je ne savais pas que le boycott devait son existence lexicale à Charles Cunningham Boycott, riche propriétaire irlandais mort en 1897, qui ne voulait pas entendre les plaintes des métayers. Ces derniers demandaient une baisse significative du prix des loyers mais le propriétaire terrien, obstinément, refusait ; un nouveau type de révolte était né : faire blocage, boycotter.

En tant que refus collectif, boycott est attesté depuis 1880, date à laquelle les exploitants agricoles décidèrent de ne plus travailler, au risque de sacrifier les récoltes. Le mouvement prit rapidement de l’ampleur et c’est finalement le village tout entier qui se ligua contre Boycott, jusqu’à l’exclure totalement – même de la messe ! N’est-ce tout de même pas carnavalesque, ce mouvement d’opposition qui prend le nom de celui à qui il s’oppose ? C’est finalement un sacré châtiment pour notre Harpagon irlandais de se retrouver ainsi lexicalisé : sacré car ce n’est pas rien, d’entrer dans le dictionnaire, même si cela s’effectue par la petite porte des noms communs ; châtiment néanmoins  car on l’a dépossédé de son nom, devenu contre-pouvoir. Antinomique antonomase, identité-métastase.

Le français ne manque jamais de mots pour se faire entendre. Quid du lynchage ? Le dictionnaire doit ce délicat substantif à un certain Monsieur Lynch, juge et patriote et américain (les trois), qui encourageait les exécutions sommaires lors des mouvements de contestation qui précédèrent  la guerre d’indépendance des États-Unis. Cette méthode, somme toute très efficace, s’appelait alors « la Loi de Lynch » ; le terme lynchage, lui, ne fut attesté que quelques décennies plus tard, précisément en 1837 – les Indiens de la Nouvelle Angleterre et les Afro-américains en furent les premiers informés.

Ces derniers temps, on pratique surtout le lynchage médiatique, version édulcorée du lynchage historique ; chaque coup reçu fait office de publicité. La langue, qui a le bras long, porte alors l’ultime coup de fouet à ceux qui, objectivement, ont été torturés.

Il m’est difficile de l’admettre tant j’affectionne le vocabulaire mais certains mots mériteraient vraiment d’être jetés à la poubelle (remercions finalement Monsieur Eugène).

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