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Je ne savais plus que la devise républicaine complète était LIBERTÉ ÉGALITÉ FRATERNITÉ OU LA MORT ! J’ai pourtant dû l’apprendre, un jour, sur l’incommode chaise du premier rang de la classe d’Histoire, la mémoriser suffisamment longtemps pour avoir une excellente note à l’examen mensuel et l’oublier ensuite, juste avant les fêtes de Noël, histoire (la minuscule est toujours la plus justifiable) de ne pas faire chuter prématurément la bonne humeur et les épines du sapin ; surtout, ne pas avoir de morbides pensées lors de la bûche glacée, mécaniquement coupée en parts égales (bien qu’il m’ait toujours semblé plus juste d’adapter la taille de la part à l’appétit de chacun). Glaçante est finalement cette devise, édulcorée au fil du temps jusqu’à devenir suffisamment convenable pour la postérité. Saisie dans son entier, elle se révèle tout aussi incommodante que mon siège de collégienne ; ce pourquoi elle a dû être tronquée : pour ne pas déranger. Il est vrai que, sur les pièces de monnaie, l’initiale formule aurait pu refroidir jusqu’aux acheteurs les plus compulsifs, à moins qu’elle ne les eût enjoints à cultiver davantage encore leur goût pour le carpe diem

OU LA MORT ! marque une alternative exclusive, l’absence de concession possible : nous sommes libres, égaux et frères, sinon l’on meurt – et, accessoirement, vous mourrez. Dilemme de la chose publique : elle prive des petits arrangements privés, aussi honteux que salvateurs. Dans cette phrase-étendard, la conjonction ou n’introduit aucunement l’un de ces choix bien sympathiques qui, après rapide auto-persuasion, se change finalement en une accumulation de possibles – fromages et dessert. Rien de plus simple, en effet, pour l’indécis jouisseur (l’indécis étant souvent un jouisseur inavoué qui attend la disette pour, enfin, s’assumer) de changer le ou en et ; finalement choisir et la piquette et la liqueur.

A mes yeux, le choix va toujours de pair avec l’embarras. J’ai donc, très tôt, sympathisé avec mes désormais fidèles contraintes. A chaque heure sa mission. Toutes concourent à cette perpétuelle et toute personnelle révolution : faire le tour de soi-même jusqu’à ne plus rien savoir, si ce n’est son point de départ.

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