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Je ne sais pas à quelle heure ouvre la préfecture. Visiblement jamais assez tôt, si je considère la déjà si longue file d’attente, pleine d’espoirs et d’engelures, qui lui fait face à 7 h 30 du matin. Ces patients, je les vois tous les jours depuis le bus empressé qui me mène au travail. Sans doute sont-ils arrivés alors qu’il faisait encore nuit, avant même que je ne constate la moiteur de mes draps, la sécheresse de ma bouche et de mon sommeil. Assise dans le sens de la marche et encore quelque peu endormie, j’imagine la queue d’un cerf-volant, sinueuse et éreintée, et me rappelle que, souvent, face au vent trop fort ou à cause d’un fil trop fin, celle-ci se rompt. Le serpent volant s’éloigne alors, redevient inatteignable et désinvolte ; un ouroboros. (Au travers d’une vitre, embuée d’autant plus, toute scène prend des airs de topos.)

Parfois, je vois des familles entières faire demi-tour sans même traverser en direction du Lieu des Procédures : de l’autre côté de la place, elles comptent le nombre de personnes qui attendent et savent qu’elles ne passeront de toute évidence pas aujourd’hui. Le droit de séjour s’envole ; un dragon, une légende.

Goutte à goutte, le défilé des patients est long, mais, comme il s’agit d’un passage obligé, on serre les poings et le rang, et l’on attend. La nationalité est un vaccin comme un autre, il suffit de trouver la veine, puis de maintenir fermement le coton. Comme pour la grippe, à renouveler tous les ans.

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