Je ne savais pas que l’air se marchandait. « Quiconque est propriétaire d’un lopin de terre la détient du paradis à l’enfer », disait-on en latin. Les « droits d’air » existent en fait légalement depuis la Rome antique. Évidemment, se rapprocher du ciel signifie moins, de nos jours, se rapprocher du divin que brandir sa puissance économique, l’apogée de son hybris. A force de gratter le ciel, il saignera peut-être. (Il ne faut pas toucher aux croûtes, ma mère disait.)
Dans certaines villes américaines, le propriétaire des murs est aussi propriétaire de l’air qui les entoure. Il peut en disposer à sa guise, s’il en a les moyens. On remplit les trous, on comble l’espace, on sature la ville, jusqu’à monopoliser la mémoire vide… C’est le moyen qui justifie la fin : si je peux – si j’ai le potentiel pour –, alors je dois. Les droits sont parfois même transférables : on peut céder son air, à la municipalité ou à un voisin. A mes yeux, il serait plus urgent de créer de l’air intra-muros ; on pourrait même en livrer à domicile, ça créerait de l’emploi. Nous suffoquons dans ces espaces modernes, la climatisation assèche, l’altitude fatigue. Outre ses fameux gratte-ciels – sortes de fusées qui ont pris racine, c’en devient risible –, les Etats-Unis proposent aussi un grand nombre de penthouses, ces appartements-terrasses où le parfait bronzage rivalise avec la spirituelle canopée. Naturels ultraviolets, éminence superficielle.
Le monde croît et s’en croit digne. Turgescents, les gratte-ciels prennent leur distance avec l’infernale foule humaine, troglodytes, bouches d’égout et à nourrir ; ils se rapprochent du divin silence, en ville si rare et si redevable au double vitrage. Ils imposent une nouvelle vision du monde et de sa verticalité : le très-haut devient la norme, le point de rencontre, le stable sol. Les étages les plus élevés ressemblent à des limbes préfabriqués, ne me font pas rêver. Enfin, plus que d’autres, les verbes croire et croître rappellent l’importance de ne pas supprimer l’accent circonflexe de la grammaire française qui, bien que tarabiscotée, a, elle au moins, le sens du détail.