Je ne savais pas que l’odonyme désignait, savamment, tout type de voie de communication ; rue, route, allée, boulevard… Je me suis prise d’intérêt pour l’odonymie, donc, le jour où mon chemin a croisé une énigmatique voie aux allures de manifeste : l’impasse de la Croix – jour miraculeux s’il en est puisque j’avais convaincu mon corps d’être infidèle aux Pénates le temps d’une balade avec Dame Nature, petits papillons, rivière chantante etc. J’avais prié toute la nuit pour ne pas avoir besoin, durant le petit périple, d’uriner dans les champs, et, en conséquence, de salir toutes mes affaires ainsi que mon orgueil, l’équilibre et la débrouillardise ne faisant pas partie de mes attributions. De fait, je m’étais surtout empêchée de boire depuis plus de quinze heures afin de palier à l’éventuel dysfonctionnement de ma foi et au probable désintéressement divin quant à ce souhait quelque peu trivial – mais, à mes yeux, ce jour-là, mon souhait le plus cher.
Je me suis arrêtée devant la plaque, perplexe. Je me méfie des voies dites de communication lorsqu’elles imposent de piétiner ou de revenir sur nos pas, et me fie rarement aux indications, sauf si elles m’invitent à prendre la direction que j’avais préalablement choisie ; néanmoins, je me demandais où cette impasse de la croix pouvait conduire : bel et bien à une toute petite église de village, retranchée au fin fond d’une ruelle sans issue, où la nature reprenait peu à peu ses droits (lierres déviants, herbes folles, ronces offensives et terriers de taupes borgnes) – il faut dire que l’on oublie vite ce que l’on ne voit pas, et la société d’entretien du village n’avait sans doute pas la chance de voir le sacré se manifester tous les jours. Lorsqu’il commençait à entendre des voix, Arthur, l’émérite agent d’entretien du hameau, savait qu’il était l’heure de rentrer se coucher, après un petit frichti et un baiser à sa femme, heureusement constituée de plus de chair que d’éther.
Selon moi, il serait judicieux de changer cette plaque en une plus moderne et, dans la foulée, de la renommer afin d’attirer vers la chapelle quelques âmes égarées, à la vessie bien pleine. Ce ne serait pas vraiment une opération publicitaire mais de clarification, de sorte que les pèlerins de passage ne rebroussent pas chemin, ne prennent ni peur ni des voies de traverse, illuminés soudain par le Figuré Sens : la religion serait-elle une impasse ? En toute modestie, je proposerais donc Issue de la Croix, Aire de repos ou, un peu plus sophistiqué, Croisement aux alouettes. Pour le choix final, je m’en remets à Dieu, c’est-à-dire au Hasard. La plaque, vu son degré de vétusté, finira de toute façon par tomber, aidée ou non par la foudre. Alors, la voie redeviendra libre.