Je ne savais pas que réussir (emprunté à l’italien riuscire) signifiait d’abord sortir, trouver une issue. La place occupée sur l’échelle du succès – tout relatif – dépendrait, littéralement, de notre capacité à avancer et à se repérer… En toute logique, l’échec se résumerait donc au blocage, au statu quo, à l’étang ; mais aussi à la gratuité de la promenade – l’erreur a la même racine que l’errance. Je suis rarement en désaccord avec la langue, pourtant, aujourd’hui, je diverge : un baiser réussi est toujours un baiser qui flâne et qui louvoie.
Pour trouver l’issue, encore faut-il avoir expérimenté l’impasse. Les exemples actuels ne manquent pas, et nous saurons bien assez tôt si le Royaume-Uni fera correspondre Brexit avec réussite (pour la rime, ce n’est pas trop mal parti). Quant aux attentats terroristes (je regrette que ce pléonasme soit à ce point entré dans le langage courant), ils sont sans appel : lorsque l’air libre devient lui-même guet-apens, toute sortie devient de secours ; et réussir se résume simplement à survivre. Certains cherchent à atteindre la berge, d’autres l’horizon. La mer reste une porte dépourvue d’indication. Ni « poussez » ni « tirez » ; aucune flèche blanche sur fond vert. Elle dilue bleu sur bleu nos aspirations ; on y coule ou l’on y surnage. Tout s’y fond, même le sang.
Sur la promenade des baisers n’erre plus aucun anglais ; l’inverse est aussi vrai. Ne reste sur le sol que des gangues d’où l’âme s’est extraite. Elle a trouvé la sortie d’elle-même, encouragée par la gabegie. Un champ de mines ; d’autres défaites. Ricochet de grenats. Sortie définitive : réussite imposée ? Peut-être ne pouvons-nous rien contre ceux pour qui le chaos reste, de loin, la réussite suprême, l’unique issue ; mais si nous avons tous perdu, ils n’ont rien gagné. La montée du gâchis invite à revoir ses ambitions à la baisse, à la hauteur de ces corps épousant la terre – mariage forcé. Enfin, aujourd’hui, j’espère moins réussir ma vie que celle-ci nous réussisse un peu.