Je ne savais pas que Mao Zedong avait été assimilé au culte de la mangue durant la révolution culturelle chinoise. En 1968, il offrit en effet des mangues aux dociles ouvriers qui avaient occupé l’Université Qinghua de Pékin et réprimé les étudiants opposés au gouvernement ; mangues que le Grand Timonier avait lui-même reçues du premier ministre pakistanais qui souhaitait récompenser sa ferveur quant à l’édification du communisme. Ce fruit était à ce point exotique et idolâtré qu’aucun ouvrier n’osa y goûter : les mangues devinrent reliques, formolées dans de la cire et exposées sous verre.
Selon moi, la muséification était une solution évidente pour une raison bien moins idéologique : les drupes, si fragiles, à trop passer de main en main, avaient dû arriver à l’usine suintantes et filandreuses. La découpe aurait été périlleuse, voire impossible, pour les travailleurs à qui il manquait sans doute déjà quelques doigts. La découverte du noyau ayant été remise à plus tard, le jeu de dupes pouvait continuer. Mao remplaçait Dieu que remplaçait la mangue. On disait qu’Il n’aimait pas cette dernière. Rien de surprenant à cela : un dictateur n’apprécie jamais ce qu’il offre, sinon, en toute logique, il le garderait pour soi.
Imaginons maintenant ce qu’aurait été le cours de l’Histoire si la mangue avait été une noix de coco : tout un régime basé sur un fruit creux qui, par sa chute, tue davantage encore que les morsures de requins ! Peut-être aurait-il suffi d’un seul curieux, d’un seul assoiffé, pour nous mettre la puce à l’oreille, faire office de piqûre de rappel ; et, aussi imperceptible fût-elle, d’une seule moustache de lait.