Je ne sais comment aménager mon nouvel appartement. La vie pratique se confronte à l’idéale ; et j’œuvre, tant bien que mal, à l’assemblage des contraires, au déballage des cartons, empilés dans un coin du salon. La vie se déplace et me transporte avec elle – c’est-à-dire à sa traîne. Elle change de costume si rapidement que je ne parviens pas à en ajuster, ne serait-ce qu’un seul, à ma taille. Je flotte, au-dessus des couches successives et encrassées du linoléum. L’espace reste désespérément dépourvu de meubles ; à l’instar de certains sièges convoités chez l’antiquaire, je suis en tenailles. Entre ces quatre murs encore inhabitables, je me sens moins jeune locataire que cariatide : seule âme et seul pilier du lieu, je redoute qu’au premier mouvement, qu’à la moindre esquive ou esquisse, tout le toit ne s’écroule, comme si seule ma tête était garante du bon maintien des murs, de leur ossature.
Cependant, le déménagement n’est pas exempt de qualités : le mouvement corporel qu’il implique permet, en effet, une meilleure circulation sanguine, le réveil du système digestif, un brassage de l’air et une amélioration de l’oxygénation des poumons ; il contribue aussi au dépassement de soi et met en action des muscles encore inconnus – notamment lorsqu’il s’agit de faire passer un lit deux places dans l’embrasure d’une porte minuscule, ou de faire rentrer une collection de thés semi-fermentés dans une armoire à pharmacie (la seule armoire déjà fixée, généreusement laissée par l’ancien occupant). Je prends aussi beaucoup de plaisir à lire les petites annonces des particuliers, qui offrent d’insoupçonnables inventions lexicales : un clique-claque comme n’œuf, des meubles des poques, un secrétaire en chaîne massif (sans doute pour mieux s’assujettir à la tâche administrative), une petite étagère de sale de bains (décorée de points noirs)…
Enfin, que ce soit clair, concernant la crémaillère, souvent source de réjouissances pour les nouveaux locataires et leurs festoyants amis, elle n’aura pas lieu. Je songe d’ailleurs à la pendre, l’appartement bénéficiant d’une bonne hauteur sous plafond. Pour preuve : j’examine la terre nouvelle depuis des lustres (en réalité, des douilles provisoires).