Je ne sais pas si je suis vraiment à la recherche d’un emploi.
Cette réflexion est sournoisement venue s’installer en moi, qui attendais sagement mon tour dans la file d’attente du cinéma, où j’étais venue me fuir et me détendre. Je m’apprêtais à présenter ma carte de demandeur d’emploi, pour bénéficier du tarif le plus bas, et mes mains étaient moites de honte et de peur. D’illégitimité. Je me souviens avoir déjà culpabilisé lorsque je bénéficiais du tarif étudiant – notamment parce que j’étais totalement financée par mes parents, et que je pouvais passer mes jours à jouir de la culture, et à réfléchir (ce qui, si l’on y réfléchit bien, d’ailleurs, ne doit plus susciter beaucoup de jalousie…). Jamais, en revanche, je n’avais eu à tendre la carte, flambant neuve, qui attestait de mon chômage : il m’appartenait ; je n’étais plus démunie. Alors, j’eus réellement l’impression de profiter du système, comme ils disent tous, de trahir la confiance du personnel quant à ce statut précaire : de toute évidence, je ne cherchais pas un emploi puisque j’étais là, toute disposée à me distraire au beau milieu de l’après-midi, à l’instar des retraités et des tout-petits qui, eux, pouvaient assumer une certaine oisiveté. Moi, je devais faire partie de la catégorie active. Réactive, même.
Peut-on demander un emploi en ignorant, précisément, lequel ?, poursuivais-je, in petto. Si j’en crois mon profil, établi par les soins de ma conseillère, j’ai le projet d’exercer le métier d’éducatrice spécialisée ou d’aide-soignante, ma mobilité géographique maximale est de 30 minutes pour un trajet aller, ma recherche s’oriente sur un emploi à temps partiel en contrat à durée déterminée (j’ai peur de m’engager), d’une durée hebdomadaire comprise entre 20 et 25 heures (j’ai peur d’être fatiguée), et d’un contrat d’une durée comprise entre 1 et 3 mois (j’ai peur de me lasser). Il fallait bien remplir quelque chose… et ma conseillère avait du travail, elle : elle n’avait pas de temps à perdre avec moi, qui lui parlais ascèse et contemplation, doutes et vocation ; moi qui n’avais peut-être pas « vraiment besoin de travailler », insinua-t-elle avec élégance. Sur le coup, je manquai de repartie ; j’aurais aimé lui répondre « Et si, prendre l’air était mon métier ? », comme l’écrit Georges Perros, dans Une vie ordinaire… Après avoir beaucoup travaillé sur moi, je suis certaine, désormais, qu’elle avait tort à mon sujet : je cherche bel et bien un emploi, mais comme l’on cherche l’inspiration, pas activement.