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Il ne savait pas lire mais adorait se retrouver seul ; seul-avec, tout un concept. Il s’installait chaque jour à la table d’un café, y résidait du petit noir à l’anisé – avec, donc, à portée de main, cette séduisante et imperceptible possibilité de la rencontre. Pour se donner une contenance, désireux d’imiter les verres double paroi qu’on lui servait parfois, il ouvrait toujours un livre, et se retranchait en lui-même, dans l’espace confidentiel – et, encore une fois, imperceptible – qui s’étendait de la couverture, lisière entre l’extérieur et l’intime, jusqu’au mur sur lequel il s’adossait ; dans cette confortable zone de rêve et de sécurité, aux frontières diffuses. Le volume, ainsi ouvert, lui cachait le bas du visage, et aussi les yeux, quand il avait besoin de plus de couverture, quand il avait peur qu’on ne le regarde, qu’on ne découvre la supercherie… Au lieu de décrypter les mots et les phrases, il imaginait ce qu’il aurait aimé y lire.

Quelques années plus tard, nous le retrouvons au même café, à la même table, entouré, cette fois-ci, de rencontres bien plus palpables et, de ce fait, un brin moins séduisantes, se disait-il. Il donnait une séance d’autographes pour la sortie de son premier roman : L’Ecrit vain. Lettres blanches sur fond blanc. Il signait, logiquement, à l’encre invisible, pour ne pas souiller la pureté intérieure de l’ouvrage. Seule la couverture, où figurait le titre, n’était pas d’une blancheur totale, mais cela se justifiait : la couverture est en contact avec le dehors, répondait-il aux inquisiteurs. Il n’envisageait pas de publier un autre livre (au grand dam de son éditeur qui était enfin récompensé pour son audace !) : il ne lisait ni les contrats ni l’avenir, sauf, parfois, pour le plaisir de faire semblant, se fabriquer une couverture…

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