Je ne me savais pas particulièrement séduisante, ce jour-là, jusqu’au moment où je dus passer devant la baie vitrée de la brasserie, à l’angle de ma rue, et constater, tournées vers moi, plusieurs rangées de têtes qui me suivaient du regard quand je faisais tout pour m’y soustraire. Vêtue d’une capeline qui dégoulinait le long de mon visage dépenaillé, et d’une longue robe informe et confortable – c’est-à-dire parfaite pour recouvrir le pyjama seconde peau duquel j’avais été incapable de m’extraire, d’autant plus pour une petite course expéditive à l’épicerie arabe du coin, éternel secours des oubliés de la liste –, je me serais plutôt définie comme franchement repoussante. À la fois dérangée par l’insistance de leurs regards, et flattée de constater la puissance de mon « aura naturelle », je poursuivis ma route. Après avoir contourné l’établissement, mes chevilles désenflèrent en un rien de temps : leurs yeux étaient, en fait, accaparés par l’immense écran de télévision, si bien accroché en haut du mur, au-dessus des fenêtres, que je ne l’avais pas vu. Evidemment, je ne pouvais pas rivaliser avec un match de football. Je n’avais donc attiré aucun regard, mais cela m’avait au moins permis d’exercer mon imagination, ce qui est toujours bon à prendre pour un écrivain en pyjama.